De la nécropole de Morette à l’ermitage saint Germain (Talloires) – 22 août 2023
Les enfants vont visiter le musée du mémorial des Glières avec Julien en évitant les vidéos trop rudes. Pendant ce temps, maman attaque une jolie grimpette de 1300m. de dénivelée jusqu’à la Pointe de Talamarche dans le Massif de la Tournette. Ce massif offre aux annéciens un terrain de sport très sauvage que j’apprécie beaucoup. L’objectif du jour est d’atteindre l’ermitage saint Germain, très cher à saint François de Sales. Et il a bon goût : le lieu est tout simplement splendide !

À La Balme de Thuy, le panneau me promet, rien que pour monter à Talamarche, un temps un peu délirant :

En montagne, on ne compte guère les kilomètres, mais les dénivelées. L’altitude prime sur la distance. Le temps à prévoir se déduit de la vitesse verticale. Un marcheur moyen monte – dit-on – 400m de dénivelée par heure. Soit pour les 1300m à grimper, environ 3h15. La carte indique un chemin large et régulier, idéal pour grimper assez vite. Alors 4h20 ? C’est sans doute pour inciter à faire une grosse pause au refuge du Lindion.
Le chemin est carrossable pour les 4×4, il monte raide sur le flanc nord de la montagne. La forêt retarde considérablement la folie étouffante du soleil. Peu à peu les bruits de la vallée s’amenuisent. L’éloignement est l’allié du silence. Notre société étant dramatiquement en proie à la conspiration contre la vie intérieure, et donc contre le silence, je deviens une obsédée de l’éloignement. Tesson, mon vieux maître à marcher, disait, il y a déjà longtemps, que le silence et la solitude sont le luxe de demain. Et tout récemment, il a ajouté un nouveau composant à ce luxe : le froid ! Je pars donc en quête des trois, aujourd’hui, dans la forêt, l’isolement et la hauteur…

Peu à peu, le parcours d’hier apparaît entre les arbres.
Pour attirer les jeunes clients, le refuge du Lindion a trouvé une astuce : disposer régulièrement sur le chemin des questions pour les champions. Un bon prétexte pour reposer les jambes et stimuler les neurones.


Mais ma route étant encore longue, je trace.
« Quand le 4×4 casse, le 2 pattes passe » aime à plaisanter mon vieux pèlerin de père, qui a des milliers de kilomètres au compteur dans toute l’Europe :

Je vais donc à droite !
Je ne ferai aucune pause avant Talamarche, juste le temps de prendre ces trois photos et je quitte cette jolie clairière du Lindion pour regagner la forêt. D’ici peu, j’atteindrai la zone des alpages et je brûlerai dans le cagnard. Mais qu’importe après tout, puisque c’est beau.




J’arrive au Crêt des Tervelles, un col. On y indique 2h30 pour Morette, en descente ! J’ai mis 2h15 pour monter ! Ma foi, c’est pas mal…


C’est complètement stupide, mais malgré la demi-heure indiquée pour Talamarche, je voudrais y arriver en un quart d’heure et boucler la montée en moins de 2h30. C’est psychologique, un trouble obsessionnel compulsif, sans doute ! Je devrais prendre mon temps, en pèlerinage, n’est-ce pas ? Mais j’ai besoin de me défouler et de chauffer le cardio, que voulez-vous.
Défi rempli et j’arrive au sommet. Contemplation.
« Que tes œuvres sont belles,
didier rimaud/jacques berthier
Que tes œuvres sont belles,
Seigneur, Seigneur Tu nous combles de joie »
Les montagnes de Savoie manquaient à saint François dans ses années d’exil à Paris et Padoue pour ses études et il ressentait toujours une grande joie quand il rentrait au pays.
Pause à l’ombre, avant d’attaquer la descente. Au loin, un névé me nargue et survit, j’ignore comment. Ce soir, je pousserai plus loin que l’ermitage, jusqu’à la plage de Talloires, pour un plouf au soleil couchant. La fraîcheur est un luxe…


Mon pèlerinage est aussi un luxe, un cadeau du Ciel. Action de grâce.

Après les chalets de l’Aulp (qui signifie alpage), je franchis le pas (passage étroit) de l’Aulp et descends vers le col des Nantets.


J’aime profondément ces croix qui jalonnent le territoire. Brûlantes sous les ardeurs estivales, battues par le vent et la neige hivernaux, ces croix rappellent aux passants la radicale devise des Chartreux : « Stat crux, dum volvitur orbis. » (Le monde tourne, la croix demeure.) Le monde tourne, c’est le moins qu’on puisse dire. Il s’emballe, il tourbillonne, jusqu’au tournis, jusqu’à tituber, comme un ivrogne qui perd la boule. Et sa suragitation ira de mal en pis tant qu’il ne se tourne à nouveau radicalement vers la Croix, cet Amour divin, fidèle, planté en plein cœur de notre terre. Mais puisque la croix demeure, alors « que rien ne te trouble. Que rien ne t’épouvante. Tout passe. Dieu ne change pas. La patience obtient tout. Celui qui possède Dieu, rien ne lui manque. Dieu seul suffit. » (Sainte Thérèse d’Avila) Les saints ont cette grâce insigne de pouvoir rester calme au milieu des affres de ce bas monde.
Saint François, étudiant à Padoue, rentrait un soir tard chez lui. Les rues désertes de la ville étaient mal éclairées par quelques torches ou un vague clair de lune. Issu d’une noble lignée d’hommes d’armes, François avait été aguerri au maniement de l’épée et la portait évidemment ce soir-là dans les rues sombres de Padoue. Des ombres s’agitaient mystérieusement derrière des pans de murs et François se tint prêt. Trois garnements surgirent et attaquèrent. Mais François sentit tout de suite que l’attaque n’était pas habituelle et compris que les garnement n’étaient autre que de jeunes nobles encanaillés. Sa supériorité militaire fit vite taire les petites crapules, mais tout, dans ses gestes, était maîtrisé. S’il eût été impulsif, il eût embroché l’un d’eux. « La peur est un plus grand mal que le mal » 1 se dit-il. J’aime cette alliance, chez les saints, du discernement rapide et fiable, de la maîtrise de soi et de l’action efficace. Les choses sont en ordre et ajustées. Les trublions passent, les saints restent.
« Là où les saints passent, Dieu passe avec eux. »
chant liturgique
Et c’est pour cela que les saints restent. Saint François est passé sur cette terre de Savoie et a laissé un héritage incroyable. La Croix et la Foi demeurent, malgré les aboiements de notre monde en ébullition.



Je connais ces montagnes et ce lac par cœur, en toute saison ; jamais je ne m’en lasse.
Poursuivant ma descente, j’emprunte un chemin de traverse, qui me paraît si long que je crois avoir raté celui qui descend vraiment à Talloires.

Je finis pourtant bien par regagner la route et les premières habitations là où je voulais, il ne me reste que quelques encablures pour atteindre ce lieu d’une beauté majestueuse :


L’ermitage saint Germain est perché au-dessus du Lac d’Annecy, à Talloires. Germain était originaire de Flandres. Il fit ses études de théologie à Paris, puis rentra à l’abbaye de Savigny. Son père Abbé l’envoya avec son frère saint Ruph et deux autres compagnons fonder l’abbaye de Talloires, vers 1020. On dit qu’il fut le précepteur de saint Bernard de Menthon. Il passa la fin de sa vie, comme ermite dans une grotte, juste en contre bas de l’actuelle chapelle. Cet ermitage devint un lieu de pèlerinage dès le XIIème siècle.








Ci-dessus, la grotte où le saint s’isolait et la vue qu’il avait sur le lac. Il descendait quotidiennement au prieuré. Ci-dessous l’actuelle chapelle. Des oblats de saint François y demeurent et animent ce lieu de pèlerinage.




Ceux qui m’ont suivi il y a plus de dix ans dans mon périple vers Notre Dame de Guadalupe noteront qu’elle me poursuit jusque dans mes escapades savoyardes. Personne n’a su me répondre quant aux raisons de la présence de ce tableau dans cette chapelle. La châsse de saint Germain se trouve dans le transept nord. Le lien entre cet ermitage et saint François de Sales se comprend en lisant une plaque apposée à droite de la porte d’entrée de la chapelle :

En pèlerinage le 28 octobre 1621, il présida
la translation des reliques de saint Germain.
Il avait projeté de terminer sa vie en cette
solitude : « J’habiteray en cet hermitage
parce que je l’ay choisi… Avec nostre chappellet
et nostre plume nous y servirons Dieu et son
Église… Les pensées nous viendroient en
teste aussi dru et menu que les neiges qui
y tombent en hyver. »
Mais, il n’en fut pas ainsi. Saint François mourut à Lyon, le 28 décembre 1622. Le dévouement à sa tâche eut raison de sa santé, il ne connut pas la douce retraite dont il rêva en ce lieu.
Je quitte l’ermite du XIème siècle et l’évêque du XVIIème et leur havre de paix pour retrouver Julien et les enfants à la plage de Talloires. L’herbe, encore verte et belle il y a quelques semaines, a jauni sous le soleil caniculaire. Les corps grassouillets et rôtis s’affalent à même la terre assoiffée entre deux séances de paddle. L’odeur de clope et de gaufre se mêle à la musiquette du bar chic d’à côté. Fidèle à mon obsession de l’éloignement, j’embarque mes deux garçons sur notre kayak qui se dégonfle. Mais qu’importe, au large, l’eau est pure, la lune brille, le soleil est parti se coucher, bon débarras…

Dans la baie de Talloires, les moines sont partis il y a bien longtemps. L’abbaye est un hôtel ultra sélect :

Juste à côté, la plus haute gastronomie française propose, avec son chef étoilé Jean Sulpice au restaurant du Père Bise, un « itinéraire en 8 étapes » à 290€, ou bien en 6 étapes à 250€ pour les pingres. La France est incroyablement riche et subtile et ses talents nombreux.
Moi, je reste pagayer, attendant le retour des moines.

Je voulais faire la dernière étape vers la Visitation en canoë avec Raphaël ou Maximilien, mais babord se dégonfle. Le pèlerin s’adapte : je vais chausser mes souliers de running. J’ai toujours pensé que certaines étapes de mes pèlerinages pour la France devraient se faire en courant, pour souligner l’urgence de notre conversion. On frôle les 40°C ? Le pèlerin s’adapte…
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- Michel Tournade, Saint François de Sales Aventurier et diplomate, Salvator, p.75 ↩︎






