Cotentin – De Vauville à Biville

22 octobre 2023 – Vers Biville avec le bienheureux Thomas Hélye.

« Moi, je trouvais désinvolte d’avoir couru le monde en négligeant le trésor des proximités. » avoue Tesson en s’offrant la reconquête de son corps par la diagonale de la France.1 Au sémaphore de La Hague, il acheva sa balade des chemins noirs entamée dans le Mercantour, mais rêvée dans son lit d’infortune après sa chute d’ivrogne. « Le Cotentin était le bras que tendait la France sous le ciel pour s’apercevoir qu’il pleuvait. Les dunes de Biville moutonnaient doucement entre les bocages et la mer. » écrit-il. Ma route va croiser la sienne quelques années après. Mais n’étant ni stégophile, ni soûlographe, je n’ai à rafistoler aucun de mes os. Ma reconquête est spirituelle et je l’offre pour mon pays. « Toute longue marche a ses airs de salut. » expérimente notre écrivain claudiquant de moins en moins. Moi aussi, je savoure les vertus thérapeutiques de mes pèlerinages. Ce n’est pourtant pas sur les traces de Sylvain Tesson que je repars aujourd’hui, bien qu’il ne soit jamais très loin quand me prend l’envie de voyages et d’aventures.

Sémaphore de La Hague et dunes de Biville

En France, la proximité est vite un trésor, en effet. Et le Cotentin fut une découverte quand je m’y rendis la première fois. Ses fières allures d’Écosse et de Bretagne sous un ciel normand anthracite lui confèrent sa beauté sauvage et rugueuse.

« Cette nuit-là, nous montâmes un campement trempé, à la pointe du nez de Jobourg. Les lumières de la centrale nucléaire rappelaient qu’il fallait vraiment être idiot pour camper sous la pluie à l’heure de la fission atomique. » ajoute encore Tesson2. Mon frère travaille au retraitement des déchets nucléaires à La Hague et sa maison de Biville nous offrira le gîte pendant ces trois jours de pèlerinage. Nous dormirons au chaud et au sec. Mais je me pose une autre question : est-il idiot de prétendre réévangéliser le bocage en marchant derrière le bienheureux inconnu Thomas Hélye, « à l’heure de la fission nucléaire » ?

Cette idiotie me vaudra un premier miracle : en cette fin octobre, je marcherai trois jours sans une seule goutte de pluie. Les seaux d’eau verseront la nuit. Point.

Le deuxième miracle que me vaut cette prétention idiote, c’est de découvrir combien revenir aux racines de notre histoire permet de répondre à l’actualité. Des racines pour du zèle. Notre bienheureux Thomas Hélye fut un excellent professeur. Alors, suite à l’attentat d’Arras du 13 octobre 2023, je lui ai confié les éducateurs, les enseignants, l’éducation nationale et toutes les écoles privées souvent hors contrat qui luttent pour une saine instruction des têtes blondes. Et il y a du pain sur la planche.

Thomas naquit à la fin du XIIème siècle, vers 1180-1187, à Biville. Particulièrement pédagogue, est devint maître d’école à Cherbourg. Il tomba malade et frôla la mort. Mais il se releva et décida de vivre une vie de prière et de pénitence chez son frère, à Biville. Une vocation au sacerdoce commença à poindre. Pour la discerner et s’y préparer, Thomas entreprit deux grands pèlerinages : Rome et Saint Jacques de Compostelle, puis étudia quatre ans la théologie à Paris. Ordonné prêtre vers 1235 (il a une cinquantaine d’années), il reçut alors un ministère de prédicateur itinérant. Ainsi, pendant plus de vingt ans, il sillonna le Cotentin et l’Avranchin en prê^chant, confessant, célébrant partout la messe, suivi par des fidèles chaque jour plus nombreux et plus fervents. Il mourut le 19 octobre 1257 à la porterie du manoir de Vauville. On l’enterra à Biville.

Chaque année, le dimanche le plus proche du 19 octobre, des pèlerins de l’actuel doyenné de Cherbourg-Hague refont l’itinéraire entre Vauville et Biville, comme le firent jadis les fidèles du bienheureux prêtre qui transportèrent son corps pour l’enterrer dans son village natal.

C’est ainsi que nous nous joignîmes, Julien, Raphaël, Maximilien, Claire et moi-même, au joyeux cortège de pèlerins en ce dimanche matin. Mon frère et mon père, grand pèlerin devant l’Éternel et aujourd’hui âgé de près de 92 ans, nous accompagnèrent également.

Il faisait frais, les nuages roulaient sur la lande et donnaient une luminosité contrastée splendide. Le rendez-vous fut donné à 9h00 à l’église de Vauville. Le village, remarquablement pittoresque, est en fond de vallon face à la mer3.

Église et manoir de Vauville

Plusieurs prêtres du doyenné étaient présents, dont bien sûr le curé de Beaumont-Hague, le père Christophe Férey. L’évêque de Coutances, Monseigneur Grégoire Cador, ordonné une semaine plus tôt par Monseigneur Lebrun, vint pèleriner avec nous.

« Il marchait avec eux » précise saint Luc (24, 15) expliquant comment Jésus fit route avec les disciples d’Emmaüs. Ce verset sied à merveille à Thomas Hélye, tant il a marché à travers l’Europe, puis le Cotentin. Il est pourtant la devise du nouvel évêque du lieu, qui, ce dimanche 22 octobre, le mit en pratique.

Nous priâmes tous ensemble dans la petite église :

« Dieu tout-puissant, tu ne cesses de montrer la bonté à ceux qui t’aiment, et tu te laisses trouver par ceux qui te cherchent, sois favorable à tes serviteurs qui partent en pèlerinage et dirige leur chemin selon ta volonté : sois pour eux un ombrage dans la chaleur du jour, une lumière dans l’obscurité de la nuit, un soulagement dans la fatigue, afin qu’ils parviennent heureusement sous ta garde au terme de leur route. »

Le cortège s’ébranla et monta au milieu de la lande sauvage et humide.

Monseigneur Grégoire Cador, en rouge, ferme la marche.

« Va, pèlerin, poursuis ta quête, va ton chemin.
Que rien ne t’arrête, prends ta part de soleil et ta part de poussière ;
Le cœur en éveil, oublie l’éphémère.
Tout est néant ; rien n’est vrai hormis l’amour.
N’attache pas ton cœur à ce qui passe.
Garde en ton cœur la parole : voilà ton trésor. »
(stance de l’office).

Nous arrivâmes à la fontaine du bienheureux Thomas Hélye.

Considérant les familles et les très jeunes enfants présents, Monseigneur Cador prit la parole : « Prions pour les vocations. Le Seigneur appelle toujours autant. Les réponses manquent. Comment se fait-il qu’il y ait si peu de vocations alors qu’il y a des familles chrétiennes ? Il faut se déboucher les oreilles ! » martèle-t-il. Immédiatement, mon Maximilien vint me voir : « Maman, je voudrais me confesser. » Je fus un peu ahurie : il n’a que six ans et ne fera sa première communion qu’en juin prochain. Personne ne lui a jamais demandé de se confesser, ni expliqué la manière. Il a donc dû se déboucher les oreilles tout seul. Je le conduisis directement à l’évêque, qui le confessa illico ! Les voix du Seigneur sont impénétrables…

Après la bénédiction des fidèles, nous reprîmes notre petite marche, dans les chemins creux.

En contemplant ces étranges dunes de Biville, la mer et, au loin, les îles anglo-normandes, nous méditâmes par petits groupes le chapelet à partir de la vie de Thomas Hélye.

• Thomas, comme enseignant et priant. Il fut ardent à l’étude. D’abord maître d’école modeste et appliqué, on lui confia rapidement l’ensemble des écoles de Cherbourg. Il travailla jusqu’à en tomber malade. Il priait inlassablement.
« À l’exemple de Thomas, donne-nous Seigneur de savoir t’accorder du temps dans la prière. »

Thomas représenté au milieu de ses élèves

• L’appel à devenir prêtre. L’évêque de Coutances, Hugues de Morville, repèra chez Thomas les aptitudes humaines et spirituelles pour le sacerdoce. Mais Thomas fut réticent, écrasé à l’idée d’être appelé à la prêtrise.
« À l’exemple de Thomas, donne-nous de savoir nous mettre à ton écoute pour faire ta volonté. »
• Thomas prit le temps d’approfondir sa foi. D’abord ermite pendant une vingtaine d’années, puis pèlerin à Rome et St Jacques, ensuite étudiant en théologie à Paris, Thomas se prépara lentement mais très profondément au sacerdoce.
« À l’exemple de Thomas, donne-nous Seigneur de te faire confiance pour nous laisser guider par toi. Que notre foi ne cesse de grandir et de s’affermir afin qu’elle serve nos frères. »
• Missionnaire diocésain. Hugues de Morville ne confia pas une paroisse au jeune ordonné, mais une mission d’itinérance. Thomas prêcha ainsi de villages en villages pendant une vingtaine d’années.
« À l’exemple de Thomas, donne-nous Seigneur de savoir témoigner de notre foi. Nous te confions la vie de nos communautés pour qu’elles continuent ton œuvre d’évangélisation. »
• Thomas, le thaumaturge. On dénombre 51 miracles attribués au bienheureux, la plupart durant les quinze dernières années de sa vie et jusqu’à la conclusion de la première enquête menée en 1259 par l’évêque de Coutances en vue de sa canonisation.
« À l’exemple de Thomas, donne-nous Seigneur d’agir en ton nom. Nous te confions ce qui a besoin d’être guéri en nous. Nous te confions les malades et toutes les personnes qui se sentent perdues aujourd’hui. Viens les visiter. »4

Nous longeâmes le petit aérodrome, d’où nous avions montré aux enfants, lors d’un précédent séjour, un planneur décoller face aux éléments turbulents… Nous arrivâmes à Biville. Raphaël et Maximilien marchèrent sans (trop) râler. Claire, comme toutes les princesses, se fit trimbaler dans le panier à bébé porté par son sherpa de papa…

Le bâtiment de l’accueil des pèlerins est caché derrière la magnifique église de Biville actuellement en travaux de restauration. J’ai dit que j’ai marché trois jours sans une goutte de pluie. Mais elle fut sans cesse annoncée ! C’est pourquoi, la messe fut célébrée au chaud dans la salle paroissiale.

Monseigneur Grégoire Cador saluant les fidèles et pèlerins à la sortie de la messe.

L’église de Biville est en deux parties distinctes : celle du XIIIème siècle (1260) fut bâtie pour abriter le tombeau du bienheureux. Elle correspond à l’actuel chœur. Le reste fut ajouté entre 1923 et 1926 grâce au curé de l’époque pour assurer l’accueil des nombreux pèlerins qui affluaient chaque 19 octobre. Outre le cénotaphe sur lequel sont exposés les restes du saint prêtre, l’église abrite aussi une chasuble que la tradition affirme avoir été donnée (ainsi qu’un calice) à Thomas Hélye par saint Louis en voyage dans la région. Sculptures et vitraux représentent divers épisodes de la vie de cette belle figure de sainteté du XIIIème siècle normand.

Le pèlerinage du doyenné s’achève dans la joie. Cet après-midi, je vais poursuivre ma marche et ma prière, seule. Julien va me conduire à la fontaine Saint Jouvin et la visitera avec moi. Un lieu de pèlerinage encore plus ancien à quelques kilomètres au sud de Cherbourg, à Brix. De là, je repartirai à pied vers Biville.

Souscrire

Pour recevoir les prochains articles directement dans votre boîte mail et encourager mon travail :

  1. Sur les chemins noirs, Gallimard, 2016, p. 136 (Ce sera son premier voyage après son accident.) ↩︎
  2. id. p. 138 ↩︎
  3. Vauville se visite pour son château et son jardin remarquables, son prieuré Saint Hermel, fondé par Richard de Vauville dans la deuxième moitié du XIIème siècle, donc à l’époque de Thomas Hélye. On visite aussi une mare d’eau douce séparée de la mer par un étroit cordon de dunes. ↩︎
  4. source : feuillet distribué aux pèlerins ↩︎

Publié par Anne-Marie MICHEL

Pigiste catholique, je m'efforce de témoigner de ma foi dans le Christ, chemin, vérité et vie. Ainsi, ce qui est vrai, bien et beau m'élève et ce trésor se partage. Notre temps est encore celui de la miséricorde, eleos en grec, alors proclamons-la à temps et à contre-temps ! Depuis août 2023, le blog relate principalement mes pèlerinages effectués en France pour son relèvement temporel et spirituel.

Laisser un commentaire