23 octobre 2023 – De Sainte-Mère-Église à Saint-Sauveur-le-Vicomte
À Sainte-Mère-Église, l’on pense aux Américains tombés du ciel pour bouter l’Allemand hors du royaume et dont le parachutiste John Steele, resté accroché au clocher, est devenu l’emblème. La mémoire et les séquelles des événements de la Seconde Guerre Mondiale, les innombrables visiteurs se rendant à Sainte-Mère-Église sur les traces de la bataille de Normandie de juin 1944 ont contribué à la création de la Grange de la Paix animée par une communauté de religieuses internationales. À Sainte-Mère-Église, on travaille à construire la paix. Julien, lui, dans son grand amour pour la France, constate qu’une nouvelle fois la Providence se mêle de notre Histoire : le Bon Dieu a permis que fût choisie comme emblème du débarquement et de la libération un humble village nommé Sainte-Mère-Église. Sollicitude, tendresse et sagesse d’un Dieu si aimant !
À Sauveur-le-Vicomte, vécurent trois femmes, une sainte et deux bienheureuses, profondément unies par l’amitié : Bienheureuse Mère Placide Viel (1815-1877), Bienheureuse Sœur Marthe Le Bouteiller (1816-1883) et Sainte Marie-Madeleine Postel (1756-1846). Sainte Marie-Madeleine Postel, de 60 ans l’aînée des deux autres, fonda à Cherbourg en 1807 la congrégation des Sœurs des écoles chrétiennes de la miséricorde, ayant pour charisme l’éducation et le soin des malades et des pauvres. En 1832 (elle a 76 ans), elle acheta les ruines de l’abbaye de Saint-Sauveur-le-Vicomte qu’elle restaura.
Notons également qu’une des saintes fondatrices de Québec, Mère Marie-Catherine de Saint Augustin, est native de Saint-Sauveur-le-Vicomte. Catherine de Simon de Longpré est née le 3 mai 1632, elle entre chez les Augustines de Bayeux en 1644 et part pour le Québec en 1648 pour y aider les religieuses hospitalières, accablées par le nombre de malades et la menace de guerre. La traversée de l’Atlantique en bateau fut catastrophique pour Mère Marie-Catherine de Saint Augustin : la peste étant aussi du voyage, le capitaine du navire mourut, elle l’attrapa aussi en soignant les malades, mais fut guérie miraculeusement.
Ma route d’aujourd’hui sera le trait d’union entre la quête de la paix, l’éducation de la jeunesse, l’attention aux plus faibles et la restauration de l’église. Programme vaste, mais cohérent : si l’église est restaurée, la jeunesse éduquée et instruite et les pauvres secourus, alors la paix règne…


« À Sainte-Mère-Église, chaque année, plusieurs centaines de milliers de visiteurs découvrent les vestiges de la guerre. Comment accompagner ce mouvement pour qu’il n’en reste pas à une vision passéiste, mais qu’il soit à la source d’un renouveau d’engagement au service de la construction de la paix ? C’est de cette interrogation qu’est né le projet de la Grange de la Paix. »1
Depuis 2012, une communauté de religieuses de diverses nationalités accueillent les innombrables touristes dans l’église de Sainte-Mère-Église. Les sœurs rayonnent et témoignent de la paix. Leurs activités proposées dans la Grange de la Paix ont pour but de réveiller en nous l’appel primordial à œuvrer pour des relations fraternelles apaisées et réconciliées au quotidien.
À l’entrée de l’église, un petit panneau de bienvenue, non loin de la statue de Notre Dame de la Paix, invite le visiteur à devenir « pèlerin de la paix » :


Je m’attarde longuement dans cette église de notre Sainte Mère. L’on chuchote américain sans cesse, les groupes étrangers se succèdent. John Steele a survécu en faisant le mort, une fois accroché au clocher. Ses camarades atterris sur la place de l’église ont tous été tués par les Allemands.

L’orgue mémorial, portant l’inscription « in terra pax » est dédié aux victimes civiles et militaires de la Seconde Guerre Mondiale.
Julien et les enfants vont visiter l’Airborne Museum, qui explique les événements du jour J depuis sa préparation outre-Manche jusqu’à la libération.

Moi, je pars en direction de Saint-Sauveur-le-Vicomte et de Sainte Marie-Madeleine Postel, représentée partout dans les églises de la région.
Étrange : dès la sortie de Sainte-Mère-l’Église pour mon pèlerinage pour la paix, le ciel commence une danse militaire avec deux Rafales qui vont tourner en rond toute la matinée au-dessus de ma tête. Ils vont enchaîner les figures à haute altitude.
Je traverse le Merderet, petite rivière insignifiante, mais qui fut le lieu, au hameau de la Fière, d’une bataille acharnée pour isoler Cherbourg et reprendre le Cotentin aux Allemands. Dans les marais sont morts noyés de nombreux parachutistes américains le 6 juin 1944. Mais le pont fut sous contrôle le 9 juin et Cherbourg libéré le 17 juin. Un mémorial retrace ces événements.




Mes Rafales poursuivent leur gigue là-haut et moi ma route. De l’autre côté du marais inondé se trouve le hameau de Cauquigny qui a beaucoup souffert des combats. L’église en porte les stigmates.


On y fait mémoire des divisions aéroportées américaines (airborne) et d’un aumônier, mort sur zone : le père Maternowsky.
Je quitte la route fréquentée pour couper à travers la campagne plus calme et paisible. Je retrouverai le trafic peu avant Saint-Sauveur. Au diable les voitures, mais les Rafales vrombissent toujours sous le ciel gris.


Je n’ai jamais connu la guerre, ni le fracas des armes, ni le cris des blessés, ni le désarrois des destructions, ni la sidération de l’errance et de l’esseulement. Pour autant, je n’ai guère connu la paix intérieure non plus. Or, notre siècle est bien celui décrit par Bernanos : « On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne, si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute forme de vie intérieure. » Attaquer notre vie intérieure, c’est égratigner notre paix intérieure. La paix est donc un combat. Et elle ressemble au Royaume des Cieux, duquel seuls les violents s’emparent (Mt 11, 12).
L’excellent livre du père Jacques Philippe, « Recherche la paix et poursuis-la » aux Éditions des Béatitudes, donne des armes pour mener le combat de la paix et donc devenir « pèlerin de la paix » :
« La paix intérieure est non seulement une condition du combat spirituel, mais elle en est bien souvent l’enjeu même. Très fréquemment le combat spirituel consiste en cela précisément : défendre la paix du cœur contre l’ennemi qui s’efforce de nous la ravir. » Et plus loin, l’auteur cite Lorenzo Scupoli : « Le démon fait tous ses efforts pour bannir la paix de notre cœur, parce qu’il sait que Dieu demeure dans la paix, et c’est dans la paix qu’il opère de grandes choses. »2
La paix est donc un enjeu capital pour notre sérénité personnelle, mais aussi pour celle des nations et de la France en particulier. Et la grande arme pour la garder est celle de l’abandon total à la Providence et à la Bonté de Dieu.
Je m’arrête dans l’église de Bonneville, où je retrouve sainte Marie-Madeleine Postel.



« Julie Postel est née à Barfleur le 28 novembre 1756. Très tôt, elle est fascinée par la Piéta de l’église paroissiale, un Dieu fait homme, le corps reposant dans les bras de sa mère… Tout au long de sa vie, elle prie la Vierge Marie et l’invoque sous le beau titre de Notre – Dame de la Miséricorde.
« Envoyée à l’abbaye royale des Bénédictines de Valognes, elle y reçoit une solide culture générale et religieuse… Quand elle retourne à Barfleur, c’est pour ouvrir une école pour les petites filles pauvres.
« Durant la Révolution Française, elle aide les prêtres traqués à partir en Angleterre. Elle protège le Saint Sacrement dans une cache, sous un escalier3, elle porte la communion aux malades, elle console, elle secourt, elle apprend son métier de « bâtisseuse d’Église ».
« Le 8 septembre 1807, à Cherbourg, jour de la fête de Notre – Dame de la Miséricorde, Julie Postel devient Mère Marie-Madeleine et fonde sa Congrégation dans le but d’« instruire la jeunesse, lui inspirer l’amour de Dieu et l’amour du travail ; se sacrifier pour secourir les pauvres et alléger autant que possible toute infortune » sans avoir d’autres ressources que « la Providence et la pauvreté personnelle ».
« Plus tard, elle dira à ses Sœurs : « j’aimerais des religieuses qui n’auraient d’autres rentes que leurs doigts et qu’une pauvreté réelle contraignît au travail ».
« Mère Marie-Madeleine et ses premières Sœurs resteront six années à Cherbourg. Très vite, la place manque, il faut trouver un autre asile ; c’est le début d’une longue itinérance de village en village. Enfin, le 15 octobre 1832, à l’âge de soixante seize ans, elle achète, pour s’y installer, les ruines de l’Abbaye de Saint Sauveur-le-Vicomte qu’elle entreprend de restaurer.
« Le 16 juillet 1846, Sainte Marie-Madeleine Postel remet son âme au Dieu de Miséricorde qu’elle avait déjà appris à aimer, en contemplant la Piéta de Barfleur.»4

La Bienheureuse Mère Placide (Victoire Viel) est née sur la côte est du Cotentin, le 26 septembre 1815. Sa cousine, sœur Marie, est une des premières compagnes de sainte Marie-Madeleine Postel. Quand Victoire lui rendit visite, elle découvrit l’atmosphère d’humble travail et de joie du couvent et le rayonnement de la fondatrice la décida à entrer, elle aussi, le 1er mai 1835, sous le nom de sœur Placide. Elle reçut une excellente formation de Mère Marie-Madeleine qui l’envoya sillonner la France et l’Europe pour quêter auprès des grands de ce monde pour la reconstruction de l’abbaye. « Elle va marcher à s’en user les jambes sur les routes de France et d’Europe. Elle ira chez les grands de ce monde : la Reine des français, le Roi de Prusse et le Comte de Chambord. » lit-on sur le site de la congrégation. Elle devint Supérieure Générale et essaima à Paris et en Allemagne. La Bienheureuse quitta ce monde le 4 mars 1877.
La Bienheureuse Marthe Le Bouteiller (Aimée-Adèle Le Bouteiller) est née le 2 décembre 1816. Toute sa vie sera humble et simple. Elle entre dans la congrégation sous le nom de sœur Marthe, le 19 mars 1841, après avoir connu les religieuses lors d’un pèlerinage à la Chapelle-sur-Vire. Un accident, pendant son noviciat, la paralyse. Elle craint être renvoyée. Mais Mère Marie-Madeleine l’accueille au contraire et la console. Quelques semaines après, elle retrouve l’usage de ses jambes. Cette guérison miraculeuse a considérablement uni les deux femmes. Elle a vécu profondément cette maxime de sainte Marie-Madeleine Postel : « Ne faites rien par crainte, faites tout par amour. »
L’on n’est pas loin du « Faites tout par amour, rien par force ! » de saint François de Sales…
Trois femmes, de l’immense patrimoine spirituel français, qui rayonnent encore de leur foi, de leur amour humble et soumis à Dieu dans une confiance indéfectible dans la Providence. Les âmes de cette trempe ont une grande fécondité pour la paix, celle du cœur, celle des nations.
J’arrive à Saint-Sauveur-le-Vicomte où, comme partout en France, les siècles d’histoire s’empilent et s’enchevêtrent : la mémoire de la libération s’affiche aux pieds de châteaux médiévaux :


Je touche à l’objectif du jour : l’abbaye restaurée par sainte Marie-Madeleine Postel, qui est encore actuellement un établissement scolaire privé.



Confions notre pays à l’intercession de ces trois femmes ! Qu’à leur suite, nous sachions rejoindre les nouvelles générations confrontées à un trop grand vide en matière d’éducation spirituelle et morale, culturel et intellectuel. Rien n’est jamais perdu, les jeunes ont une soif immense, ils cherchent éperdument un chemin qui les transcende.
Si la France recèle de si belles figures de sainteté, elle cache aussi d’étonnantes figures de talent : François Halley en fait partie. Né à Saint-Sauveur-le-Vicomte en 1816, il devint un architecte de grand talent, sculpteur et touchant à tous les métiers du bâtiment : ciseleur de pierre et de bois, dessinateur, maçon et maître d’œuvre. En grande partie autodidacte, il fut particulièrement providentiel pour sainte Marie-Madeleine Postel, à qui elle confia la restauration de l’abbaye, tant meurtrie par les folies de la révolution. « Un homme qui n’a jamais appris la sculpture mais à qui Dieu avait donné le don de sculpter. » écrivit de lui Jules Barbey d’Aurevilly, lui-même originaire de Saint-Sauveur. François Halley « a reçu de la Providence les talents nécessaires pour nous tenir lieu d’architecte et faire en même temps tout ce qu’il y aurait de plus délicat dans la restauration de l’église » assure sainte Marie-Madeleine Postel elle-même.
À gauche, en entrant dans l’église, se trouve un de ses chefs-d’œuvre inachevé, une majestueuse chaire à prêcher :


Mon frère, ma belle-sœur, Julien et les enfants m’attendent après avoir eux-mêmes visité cette magnifique abbaye, aujourd’hui déserte en cette période de vacances scolaires. Demain, troisième et dernier jour de pèlerinage normand. Je repartirai de Saint-Sauveur-le-Vicomte pour me rendre vers une abbaye cistercienne : Bricquebec.
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- cf site du diocèse de Coutances et Avranches ↩︎
- Jacques Philippe, Recherche la paix et poursuis-la – Petit traité sur la paix du cœur, Éditions des Béatitudes, 1991, p. 14 et 15 ↩︎
- événement mentionné notamment dans le très beau livre pour enfant que je recommande : Belles histoires de Saints et de miracles eucharistiques de Blanche Rivière chez Artège ↩︎
- https://www.mmpostel.com/notre-histoire/notre-fondatrice/ ↩︎