De la Visitation d’Annecy vers le sanctuaire marial de Myans, au sud de Chambéry. À vélo, le 15 avril 2024.

Le 24 août 2023, je terminais mon premier pèlerinage pour prier pour le relèvement spirituel et temporel de la France à la Visitation d’Annecy. J’étais partie des Allinges et avais marché 6 jours sur les traces de saint François de Sales. Ce pèlerinage m’a énormément marquée, notamment par mes lectures des écrits de ce grand docteur de l’Église.
Après des itinéraires en Cotentin et à Paris, je repars ce lundi 15 avril 2024 – à vélo cette fois – de la Visitation d’Annecy, comme une continuité de ce premier pèlerinage, vers un petit sanctuaire dédié à la Vierge Marie, objet d’un pèlerinage très ancien en Savoie, à une soixantaine de kilomètres. Le village de Myans et ses environs ont une histoire tragique qui est à l’origine de ce pèlerinage.

D’Annecy à Aix-les-Bains, j’emprunterai le circuit balisé n°51 qui longe essentiellement la D5, via Viuz-la-Chiésaz, Gruffy, le pont de l’Abîme sur le Chéran, Cusy et descend sur Aix.
Mon équipement sera relativement rustique : j’ai pris le vélo de Julien, mon mari, beaucoup trop grand pour moi et le casque de Raphaël, notre aîné de 9 ans, beaucoup trop petit pour moi. J’ai encore des courbatures suite à une séance de sport improvisée avec les enfants et qui a ravivé une vieille douleur à un ischio-jambier. À part ça, tout va bien.

La route agréable serpente au pied ouest du Semnoz sous un ciel à éclaircies, venteux, mais encore chaud : la météo annonce une dégringolade de la température dans les 48 heures, de la pluie et de la neige en montagne. Les lilas, les cerisiers, les glycines, les pissenlits sont en fleurs, le vert tendre des arbres placarde un printemps qu’une gifle de l’hiver va frapper d’ici à deux jours. Le vent annonciateur souffle et j’ai le chic, dès que je sors le vélo, d’avoir le vent de face. Au point que je n’entends pas du tout les voitures arriver par derrière.
Au cours de ce pèlerinage, je prie pour la France, conformément à l’esprit de tous mes pèlerinages relatés dans ce blog. Mais aujourd’hui, je prie tout particulièrement pour les vocations, car l’évangile d’hier était tiré de Jn 10, 11-16 sur le bon pasteur. Seigneur, donne-nous des prêtres et des vocations religieuses : nos campagnes sont trop vides !
Courte halte en l’église de Balmont pour prier un peu et faire ma pub sur le livre d’or…


La route se dirige vers le pont de l’Abîme sensé franchir le Chéran. Mais des travaux stoppent net ma course :

Je n’ai envie ni de braver l’interdit, ni de m’ajouter de longs kilomètres jusqu’au pont suivant. La carte m’indique une passerelle non loin. Je prends le risque et tente cet itinéraire. Le chemin plonge très raide dans l’abîme mais passe. Au loin, sortent les Tours Saint Jacques, au-dessus du village d’Allèves. Étudiante en géologie et géographie en 1998-2001 à l’université au Bourget-du-Lac, j’étais venue y faire des mesures avec un camarade thésard. Elles ne se sont toujours pas écroulées depuis… Nous avons donc bien travaillé…

La remontée de l’Abîme sera raide, mais, arrivée à Cusy, j’entame une interminable descente jusqu’à Aix-les-Bains, dont le charme émane de son chic désuet : la haute société du 19ème siècle y venait en cure et ses palaces se restaurent aujourd’hui les uns après les autres. J’y ai travaillé deux ans après mes études ce qui m’a permis d’entrer dans les anciens thermes et de voir même les thermes romaines.

L’extraordinaire richesse historique, patrimoniale, culturelle et spirituelle de notre pays demeure, mais elle est menacée. Ne sous-estimons surtout pas les sombres nuages qui s’amoncellent. Les remplacements opérés sont des faits dont les prodromes se constataient clairement, il y a 25 ans, quand j’étais étudiante sur les rives de ce lac où Lamartine a chanté « Ô temps, suspends ton vol ! » Non, je ne demande pas au temps du romantisme de suspendre son cours pour laisser à mon pays ses seules heures glorieuses, ni d’arrêter sa course pour stopper nos souffrances. Je souhaite regarder les mutations actuelles avec le regard de Dieu. Il y a 25 ans, lors d’une excursion géologique avec nos excellents professeurs de fac, l’un d’eux, au micro du bus a commenté l’abbaye d’Hautecombe (située sur les bords majestueux de ce Lac du Bourget) en ces termes : « Là-bas, il y a des moines… Ils sont un peu intégristes parce qu’ils prient. » Voilà, la seule prière catholique étaient taxée d’intégriste. Voilà les prémices du grand remplacement. Le même jour, le professeur commenta le sanctuaire de Myans, lié à l’écroulement du Mont Granier : « Et comme par hasard, les rochers auraient épargné l’oratoire », dit-il. Le « comme par hasard » sous-tendait une ironie moqueuse. La foi, la prière, la vertu des moines ne sauraient préserver réellement des catastrophes, selon mes professeurs.
Et pourtant.
Et pourtant, Myans a survécu à l’écroulement du Granier en 1248. Myans survivra à l’écroulement de la foi dans mon pays. Car la foi du petit reste n’est pas sotte : l’on vient à ND de Myans pour invoquer la Vierge Marie pour tous les rochers qui nous tombent dessus. Et Dieu exauce. Ah, mes chers professeurs que j’ai tant appréciés, tout soixante huitards étiez-vous, pour l’excellence de vos cours et votre passion de la géographie physique, aujourd’hui, je reviens à Myans et je prie pour vous.

J’enfourche à nouveau mon vélo après une pause à contempler « mon » lac. La voie verte longe la route vers Viviers-du-Lac, puis bifurque plein ouest vers « mon » village du Bourget où j’ai habité. Ensuite, à Technolac, elle longe la Leysse et remonte vers Chambéry par une longue zone industrielle peu bucolique. Je traverse la capitale des ducs de Savoie et emprunte une autre voie verte en direction du lac Saint André. Après 66 km sur un vélo trop grand, les fessiers en compote, j’arrive en vue du sanctuaire, sous un soleil radieux.

J’ai dit qu’il y avait des moines et un prieuré à Myans lors de l’effondrement du Granier le 24 novembre 1248. Ce n’est pas tout à fait exact : plus précisément, il y avait un prieuré plus haut dans la montagne, au village de Granier. Les moines qui l’occupaient ont été chassés la veille de la catastrophe et sont venus se réfugier dans l’église de Myans. Voici quelques précisions apportées par madame Jeanne Lejeune, habitante de Myans qui a fait beaucoup de recherches sur le sanctuaire :
Certains récits historiques mentionnent plusieurs milliers de victimes, alors que des historiens plus récents avancent plutôt seulement un millier de morts. Les récits plus anciens vont affirmer que l’écroulement du Granier de 1248 (qui est bien un événement historique avéré) était une punition divine, alors que les scientifiques contemporains vont ostensiblement dénigrer toute possibilité de miracle dans la protection du sanctuaire et des moines. Décidément, les pensées de Dieu ne sont pas nos pensées. Une chose est certaine : Dieu existe, Il est infiniment bon et bienveillant, miséricordieux et juste à la fois. Il intervient dans nos vies humaines sans cesse et l’agir divin n’est pas à interpréter à l’aune de punitions ou de récompenses. Les personnes qui sont mortes quand la tour de Siloé est tombée n’étaient pas plus pécheresses que les autres rappelle Jésus, « mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de la même manière », a-t-il très finement précisé. (Lc 13,4)
Le Granier s’est écroulé en 1248, l’oratoire n’a pas été touché. Depuis, le sanctuaire est devenu un lieu de pèlerinage. Cela au moins est factuel.
L’ancien archevêque de Chambéry, Monseigneur Ballot, a rappelé qu’à Myans, Marie « nous permet de faire barrage aux pierres, aux fardeaux qui risques de nous écraser » en faisant clairement allusion à l’écroulement du Granier :
Au sommet de l’édifice, une statue monumentale de la Vierge Marie se tourne vers l’est.



Le visiteur ou le pèlerin peut être frappé par cette fresque peinte sur la voûte : l’ambiance est sombre, lugubre même : on y voit des démons s’agiter à précipiter des rochers sur les humains. Constatant, parmi ces humains, la présence de religieux (en bas à gauche), ils se lèchent les babines. L’un d’eux dit : « Passons outre », mais leurs compères leur rétorquent : « Nous ne pouvons, la Noire (c’est-à-dire la Vierge Noire) nous en empêche. » Sur l’autre côté de la voûte est peinte une autre fresque très lumineuse avec des anges tenant des banderoles : « Le 24 novembre 1248, le Mont Granier s’est écroulé sur la légion de saint André. L’éboulement s’arrête net aux pieds des moines en prière dans la chapelle Notre Dame de Myans. »


Les ex-voto actuellement visibles dans le sanctuaire ne sont qu’une partie de ceux offerts depuis longtemps. Certains sont particulièrement remarquables :

Un sénateur guéri en 1623.

Ce Maréchal des Logis d’un régiment d’infanterie de marine aurait-il bénéficié d’une balle détournée comme celle de saint Jean-Paul II ?

« À Notre Dame de Myans, reconnaissance et remerciements pour grâce reçue du retour de nos fils de la guerre 1939-40. Cte et Ctesse R. de Leusse – Lyon »

D’une femme ayant imploré ND de Myans pour avoir un enfant : elle a eu des jumeaux…

Reconnaissance à Marie pour vocation sacerdotale. 1925



Mon pèlerinage s’achève ce 15 avril 2024 par la récitation du chapelet dans la crypte avec des laïcs qui animent quotidiennement le sanctuaire. Julien et nos enfants me rejoignent et découvrent avec moi ces joyaux de nos contrées.
« L’idée c’est non seulement de faire connaître les églises, mais de donner des clefs pour comprendre ce qu’elles racontent. Je pense qu’on ne regarde bien que ce qu’on a compris. Donc il faut éduquer le regard et réveiller la conscience des gens sur ce patrimoine. » (Élisabeth Pardon – Animatrice de « la montagne des orgues » – Échappées belles Haute Corse 1h06min50s)
Pour en savoir plus :
le site du sanctuaire
Chronique d’en haut avec Laurent Guillaume sur l’écroulement du Granier
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