Calvados – La colline des marins

Honfleur, de l’église Sainte-Catherine au sanctuaire ND de Grâce – 1er janvier 2025

Pour commencer l’année 2025 sous le regard de la Vierge Marie, j’ai emmené ma petite famille à Honfleur, dans le Calvados. En ce 1er janvier 2025, je voulais leur faire découvrir ce joli petit village en bord de Seine : Honfleur est connue pour ses maisons typiques des XVI-XVIIIèmes siècles entourant son vieux port, pour ses peintres (Leprince, Huet, Isabey, Corot, Monet, Boudin, Courbet…), pour le majestueux Pont de Normandie et pour des églises ou chapelles particulièrement remarquables. Le pèlerinage nous mènera de l’église Sainte-Catherine – splendide – au sanctuaire Notre Dame de Grâce – millénaire – à quelques minutes de marche, en haut d’une colline dominant l’estuaire de la Seine en face du Havre. Un pèlerinage très modeste en distance, largement faisable en famille.

Avant de commencer notre petit pèlerinage, nous flânons autour du Vieux Bassin. Il fait gris, relativement frais, sans être glacial comme ces jours derniers. Il ne pleut pas, un luxe qui n’échappe pas aux nombreux touristes venus se souhaiter la bonne année en se promenant, en furetant dans une galerie d’art, en dégustant des fruits de mer ou un vin chaud du marché de Noël. L’ancienne église Saint-Étienne est fermée au culte depuis longtemps : c’est actuellement le musée de la marine.

Le Vieux Bassin et la Lieutenance – Honfleur – Calvados
La Lieutenance

Sur ce Vieux Bassin, la Lieutenance est un des bâtiments emblématiques de la cité. Faisant à l’origine partie des fortifications de Honfleur, le bâtiment situé sur la Porte de Caen fut ensuite affecté au logement du lieutenant du Roi de France entre 1684 et la révolution, d’où son nom. Sur un pignon de l’édifice, se trouve cette plaque :

Ce lien intime entre la Normandie et le Québec, scellé par Champlain à travers ses voyages, ses explorations et surtout la fondation de Québec en 1608, se retrouvera dans la chapelle ND de Grâces vers laquelle nous monterons en famille tout à l’heure. J’étais moi-même au Québec en 2008 pour le 400ème anniversaire de la ville. J’y couvrais le 48ème Congrès Eucharistique International, dont le thème était “L’Eucharistie, don de Dieu pour la vie du monde ”. Ce n’est pas un hasard : la devise de Samuel de Champlain était « Don de Dieu feray valoir« , le nom de son bateau : « don de Dieu »…

À quelques mètres de la Lieutenance, flotte un autre monument historique : la dernière chaloupe crevettière du port de Honfleur, baptisée « La Sainte Bernadette ». Rien à voir avec la sainte de Lourdes, mais avec l’épouse de Jacques Cauchois qui a racheté l’épave du bateau en 1954. La chaloupe, construite en 1926 par Adrien Mérieult, s’appelait d’abord ‘Serge Olivier ‘du nom de ses deux fils. Le 6 juin 1944, les Allemands détruisirent quasiment toutes les embarcations du Vieux Port de Honfleur. Éventrée, le Serge Olivier devra son salut à des passionnés de vieux bateaux : d’abord Jacques Cauchois puis l’Association « La Chaloupe d’Honfleur ».

Chaloupe La Sainte Bernadette, dernière crevettière de Honfleur

Nous nous rendons à l’église Sainte-Catherine, que l’on aperçoit derrière les maisons d’ardoise bordant le Vieux Bassin. Déjà se devine sa caractéristique principale : sa double nef.

église Sainte-Catherine – Honfleur
Façade de l’église Sainte Catherine – Honfleur

La façade est recouverte de bardeaux de châtaigniers et le porche est paradoxalement récent. De Style néo-normand, il a été construit au XXème siècle pour remplacer un portail imposant néo-classique. L’édifice constitue la plus grande église en bois à clocher séparé de France. Fait étonnant, cette église en bois remplace une église en pierre datant du XIIème siècle, détruite pendant la Guerre de Cent Ans, par les troupes du Duc de Salisbury lors de l’invasion anglaise de 1419. Une fois les Anglais « boutés hors du Royaume », les habitants l’ont reconstruite, mais avec de modestes moyens : du bois provenant de la forêt de Touques. En 1460, leur savoir-faire en construction navale leur permit de bâtir une première partie, la nef nord, sur un modèle de halle de marché, mais à la forme de coque de bateau renversée. En 1496, la nef sud est ajoutée. Entre-temps, le clocher est construit, séparé de l’église pour éviter que la foudre attirée par la hauteur du clocher n’enflammât l’église.

Ce clocher est bâti sur la maison du sonneur. La dernière famille de sonneurs, les Hébert, partit en 1949…

En ce 1er janvier, octave de Noël, nous entrons, tous les cinq dans cette splendide église particulièrement chaleureuse. Les touristes sont nombreux. Nous allons rester un bon moment à prier devant le Saint-Sacrement placé dans la nef sud. La France, son relèvement temporel et spirituel, restent au cœur de nos intentions, de notre humble cri vers le Seigneur et vers la Sainte Vierge.

Les enfants s’empressent de visiter la crèche. Monumentale, elle occupe tout le chœur de la nef nord. Véritable chef d’œuvre, elle est réalisée par des bénévoles de la paroisse Notre-Dame de la Côte Fleurie. Raphaël, Maximilien et Claire ne se lassent pas de l’observer par tous les angles, dans les menus détails.
– Maman, il y a un passage secret !
En effet, sous une grille du sol, se trouvent des personnages qui semblent s’enfuir. Peut-être déjà saint Joseph emmène-t-il la Sainte Famille vers l’Égypte.

nef sud avec le Saint-Sacrement
nef nord avec la crèche
double nef, charpente en bois, modèle de coque de bateau renversée

Ravigorés par la prière et la contemplation de la beauté de cette église, nous ressortons dans le froid pour commencer notre petit pèlerinage à proprement parler.

Dans les ruelles pittoresques, malgré la grisaille, notre itinéraire grimpe immédiatement.

Le Pont de Normandie émerge entre les maisons :

Nous prions le chapelet en marchant.

Rapidement, nos arrivons au sommet de la Côte qui domine l’estuaire de la Seine. La chapelle de Notre Dame de Grâce se dresse, humble et modeste, mais très attirante. En face d’elle se trouve un autel abrité qui sert pour les messes de plein air. On y a confectionné une crèche.

Tout en confiant la France à la Vierge Marie, intention permanente de tous mes pèlerinages, je fais remarquer à mes trois enfants qu’une anomalie s’est immiscée dans cette crèche, ci-dessus. Saurez-vous la trouver, comme eux ? Observez bien la photo !

Nous entrons dans la chapelle Notre Dame de Grâce, presque intimiste. Elle est chargée d’Histoire, avec une majuscule, l’Histoire de France. Elle rayonne aussi de l’histoire d’une immense sainte normande ; elle est enfin marquée par ma petite histoire personnelle, familiale et paroissiale.

En effet, ayant grandi dans la région, lors des communions solennelles, notre paroisse avait l’habitude d’emmener les communiants en pèlerinage à Notre Dame de Grâce. Mon frère et moi-même y sommes donc venus, enfants.

Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus y est venue aussi en pèlerinage avant d’entrer au Carmel. Une image pieuse relate cette visite connue :

« En juin 1887, Thérèse se rend en pèlerinage à Notre-Dame de Grâce à Honfleur en compagnie de ses sœurs Léonie et Céline et de son père Louis Martin. Elle y demande à la sainte Vierge que le Pape accepte d’intervenir auprès des autorités responsables et lui permette de réaliser son projet d’entrer au Carmel à l’âge de 15 ans. » (https://archives.carmeldelisieux.fr/lieux/honfleur/)

Selon une plaque apposée à l’intérieur de la chapelle, le lien entre ND de grâce et le Carmel de Lisieux commence une cinquantaine d’années avant. « Le 15 août 1835, les demoiselles Gosselin, nées au Havre, élevées au pensionnat de Pont-Audemer habituées de Notre-Dame de Grâce, demandent à Mr. l’Abbé Sauvage, vicaire à Saint-Jacques de Lisieux, de s’occuper de la fondation à Lisieux d’un Carmel. Dix-huit mois plus tard, aucune des multiples démarches entreprises n’a abouti. Le 13 janvier 1837, les trois intéressées viennent présenter à Notre Dame de Grâce leur détresse et leurs dernières lettres. Le Carmel de Poitiers accepte aussitôt de prendre en charge la fondation projetée. Le 15 mars 1838, les Carmélites sont dans le monastère actuel de Lisieux, dédié à Marie, pleine de Grâce, sous le vocable de l’Immaculée Conception. »

Thérèse entrera au Carmel de Lisieux en 1888.

Cette chapelle a mille ans ; le premier édifice a été construit en 1023, d’après la plaque apposée sur l’actuel sanctuaire.

Cette plaque ci-dessus donne la paternité de la chapelle à Richard II de Normandie, alors que d’après une autre plaque d’information située près de la chapelle, cette première chapelle serait le résultat d’un vœu prononcé par Robert le Magnifique, fils de Richard II et père de Guillaume le Conquérant. Alors qu’il se trouvait en péril en mer au début du XIème siècle, il aurait fait vœu de construire trois chapelles : une à Fécamp, ND du Salut, une à Honfleur, ND de Grâce, et une troisième dont l’identification n’est pas claire.

En 1538, un éboulement de la falaise détruisit la chapelle de ND de Grâce. Encore aujourd’hui, la pente qui descend vers la Seine est extrêmement raide. Les quelques villas très chic bâties sur la Côte de Grâce sont littéralement accrochées à la falaise et leur jardin particulièrement étagé. Cependant, lors de l’éboulement de 1538, un autel et une statuette de la Sainte Vierge restèrent intacts. Ce n’est qu’à partir de 1606, que certains habitants de Honfleur commencèrent sa reconstruction. Monsieur Gonnier, puis le gentilhomme Monsieur de Fontenay, avec d’autres bourgeois et nobles honfleurais apportèrent leurs contributions financières. Mademoiselle de Montpensier offrit le terrain et du bois pour la construction. Et les pèlerinages reprirent.

En pleine Révolution, en 1791, Monsieur Cachin, maire de Honfleur, achète en son nom propre la chapelle et ses dépendances. Puis le 27 février de cette même année, devant Maître Mallet, notaire à Honfleur, il en fait donation aux habitants. Le décret du 10 septembre 1808 de Napoléon Ier autorise la ville à accepter cette donation.

Notre Dame de Grâce – Honfleur – Normandie

Mais cette humble chapelle millénaire a encore un autre lien avec la grande histoire de France et l’histoire religieuse de la France. La plaque située sur la Lieutenance (sur le Vieux Bassin de Honfleur) mentionnait le personnage de Samuel de Champlain, fondateur de Québec en 1608. Dans la chapelle ND de Grâce, une autre plaque rappelle encore les liens étroits entre les Normands et les Québécois. Champlain et avant lui, Jacques Cartier, ont permis à beaucoup de Normands d’émigrer en Nouvelle France début XVIIème siècle et ont participé à la fondation du sanctuaire célèbre de Sainte-Anne-de-Beaupré au nord de la ville de Québec.

L’extension de l’influence culturelle française et l’évangélisation de l’Amérique du Nord ont certaines de leurs racines dans cette petite chapelle normande de ND de Grâce.

L’histoire est si chargée en ce sanctuaire qu’une autre plaque mentionne encore la mémoire des innombrables soldats canadiens revenus sur la terre de leurs aïeux pendant la Seconde Guerre Mondiale.

Et ce n’est pas fini. Les murs sont tapissés, au milieu des innombrables ex-voto, de mini cours d’histoire : dans le transept sud y est mentionné la mémoire d’un natif d’Honfleur, parti lui aussi en Terre Neuve (près du Québec), puis se mit au service de la flotte portugaise avant d’entrer chez les Carmes Déchaux et d’être martyr des musulmans à Sumatra en 1638 à 38 ans. Il s’agit du bienheureux Pierre Berthelot, en religion père Denis de la Nativité.

L’histoire de cette petite chapelle est si riche qu’en 1913, la statue de Notre Dame de Grâce fut couronnée en grande pompe, comme en témoigne cette plaque commémorative :

« Le 19 juin 1913, en l’année du troisième centenaire de la reconstruction de cette chapelle, Monseigneur Thomas Lemonnier étant évêque de Bayeux et Lisieux, la statue vénérée de Notre Dame de Grâce a été, au milieu d’un concours immense de prêtres et de fidèles, solennellement couronnée au nom de Sa Sainteté le pape Pie X, par Sa Grandeur Monseigneur Frédéric Fuzet, archevêque de Rouen, assisté par des évêques et prélats de la Province de Normandie. »

Nous nous apprêtons à repartir et, une nouvelle fois, je constate que je suis arrivée agitée intérieurement et je repars apaisée. Nous redescendons par un autre chemin.

Un monument commémore le vœu de Monsieur l’Abbé Montreuil en 1944, implorant la Notre Dame de Grâce pour la protection de Honfleur et des environs pendant la bataille de Normandie.

Quand je pense à toutes ces grâces accordées par la Vierge Marie à nos aïeux sur le sol de mon pays, je pleure les innombrables péchés de mes contemporains, aujourd’hui. Mais le déferlement du mal actuel n’aura pas le dernier mot, car « à la fin, mon Cœur Immaculé triomphera » nous a dit Marie. En attendant, je m’accroche à la confiance.

Nous poursuivons notre descente dans les magnifiques ruelles d’Honfleur, la nuit tombe lentement.

Publié par Anne-Marie MICHEL

Pigiste catholique, je m'efforce de témoigner de ma foi dans le Christ, chemin, vérité et vie. Ainsi, ce qui est vrai, bien et beau m'élève et ce trésor se partage. Notre temps est encore celui de la miséricorde, eleos en grec, alors proclamons-la à temps et à contre-temps ! Depuis août 2023, le blog relate principalement mes pèlerinages effectués en France pour son relèvement temporel et spirituel.

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