Sur les traces de Saint François de Sales – Jour 1

D’Allinges à Habère-Lullin dans le Chablais (Haute-Savoie) – 11 août 2023
Les châteaux des Allinges

Pour ce premier pèlerinage pour la France, j’ai choisi de marcher dans les pas d’un missionnaire audacieux, d’un écrivain célèbre, d’un père spirituel remarquable, d’un fondateur d’ordre, d’un docteur de l’Église, du saint patron des journalistes : saint François de Sales. Pas de chance, je commence par une incohérence : pour prier pour la France, me voilà avec un saint pas français du tout. La terre que je vais fouler à sa suite n’était nullement rattachée au royaume de France à l’époque de saint François : 1567-1622. François est bien savoyard et appartient à une famille noble du duché de Savoie. « Je suis de toute façon savoyard de naissance et d’obligation » a-t-il dit. Mais qu’importe, il rejoint quand-même l’immense patrimoine spirituel français. Et aujourd’hui, la Haute-Savoie que je vais traverser est bien entendu française.

Je partirai des Allinges, juste au sud de Thonon-les-Bains pour me rendre à la Visitation d’Annecy, en ligne courbe, car je monterai sur le Mont Forchat, passerai à la Bénite-Fontaine, ferai étape au château de Thorens, appartenant encore aujourd’hui à la famille de Sales, ajouterai un détour par le plateau des Glières et Morette (prière pour la France oblige !), me paierai le luxe d’une grimpette à la Pointe de Talamarche avant de dégringoler à l’Ermitage Saint Germain, puis à la plage de Talloires. De là, je troquerai mes chaussures de montagne contre celles de running pour finir en courant, jusqu’à Annecy. Nous monterons en famille à la Visitation pour prier les Vêpres et adorer le Saint Sacrement avec les Visitandines. Six étapes, six magnifiques journées dans des paysages que Saint François a lui-même énormément aimés et contemplés.

En ce matin du 11 août – premier jour de ce nouveau pèlerinage – je prends conscience que la Providence me fait débuter ma marche en la fête de ma fille Claire, qui du haut de ses trois ans ne saisit pas encore très bien ce que va faire maman. Maximilien, 6 ans, m’affirme : « Maman, pendant que tu marches, moi, je vais prier pour toi quand on se baignera dans le lac, et je ferai des sacrifices. » En 1573, Monsieur de Boisy, le père de François, lui demande : « François, à quoi pensez-vous ? – Je pense à Dieu et à être un homme de bien. » Il avait 6 ans aussi… Par ailleurs, nous faisons en ce moment une neuvaine pour le 15 août, proposée par un ami prêtre. Étrangement, l’intention de ce jour est « pour les pèlerins, afin qu’ils trouvent toujours un accueil favorable sur leur chemin ». Il ne m’en faut pas plus pour considérer ces signes comme des nihil obstat du Bon Dieu : je fonce.

Julien et les enfants repartent en voiture. Désormais seule, je commence par visiter l’église d’Allinges. L’on y fait le ménage.

Chœur de l’église Notre Dame de l’Assomption d’Allinges – Haute-Savoie

Une courte prière, une visite rapide et voilà ma première surprise, mon premier clin Dieu :

Sur le bas-côté nord, se trouve cette chaire où a prêché saint François, telle une relique, mais surtout telle une invitation à lire ses écrits, à lire sa vie et à le suivre dans la reconquête du Chablais. Car partir d’ici est symbolique. Pour comprendre, montons aux châteaux !

Je longe d’abord la route principale qui traverse le village et m’échappe rapidement à droite par un large chemin qui mène à un promontoire dominant Thonon et le Léman. Une première ruine apparaît derrière le feuillage dense.

J’entre dans le Château-Vieux.

Les panneaux expliquant l’histoire et l’architecture de ce château permettent d’imaginer ce qu’il fut, malgré les doutes que les historiens n’ont pas su lever. L’on y retrouve les éléments classiques des châteaux forts : la tour seigneuriale, le bourg castral, la haute cour, la chapelle, des poternes… La végétation a tout envahi, mais la vue reste dégagée vers le lac et l’on aperçoit en contre bas l’église d’où je viens.

L’autre château – dit neuf – est presque autant en ruine :

Les premières traces du Château-Vieux remontent aux Burgondes qui l’édifièrent au Vème siècle. Le neuf est construit au Xème siècle. Fin XIème, il est attribué au Conte de Savoie avec le Chablais, alors que le vieux est donné au sire de Faucigny. Un siècle de guerre, aux XIIIème et XIVème siècles, opposera les deux familles et donc les deux châteaux, distants seulement de 150 mètres ! En 1355, le comte de Savoie, Amédée VI, règne seul sur les deux châteaux.

Mais pourquoi s’intéresser à ces vestiges d’une histoire ancienne hors du royaume de France, dans un pèlerinage en France, pour la France, sur les traces de saint François de Sales ? Parce qu’en 1594 et 1595, les châteaux gouvernés par le Baron d’Hermance lui donnèrent asile.

En effet, peu après son ordination sacerdotale, le 18 décembre 1593, il est envoyé par l’évêque d’Annecy, monseigneur de Granier, en mission dans le Chablais. Or, celui-ci est tout entier conquis aux thèses de Calvin qui a sévi à Genève toute proche. Rien de très cordial dans les relations entre les catholiques et les Huguenots au siècle de François. Une guerre sanglante sévit et il n’est pas bon de s’aventurer comme catholique en terre « ennemie » : c’est au péril de sa vie.

Dès lors que saint François est ordonné prêtre, il est « installé » comme prévôt à Annecy et, en présence de monseigneur de Granier, le jeune prêtre va prononcer un « véritable discours-programme ». Citons le Jésuite André Ravier, dans le livre « Prier à Annecy avec François de Sales » chez Desclée de Brouwer :

C’est incroyable d’actualité !

Peu de temps après ce discours d’installation comme prévôt à Annecy, « le duc de Savoie, qui a récupéré politiquement le Chablais, veut à présent le récupérer religieusement, car les pasteurs calvinistes y sont fortement implantés. Mission très épineuse. Mission dangereuse. L’autorité du duc n’est guère établie que par la forteresse des Allinges. » 1 Nous y voilà donc ! L’évêque accepte la demande du duc et estime que seul François est capable de mener une telle mission. C’est ainsi que le 9 septembre 1594, il part accompagné de son cousin le chanoine Louis de Sales pour le Chablais hostile.

Les deux prêtres passent la frontière du Chablais, où un ange leur serait apparu pour les conforter et réconforter. Cette scène est plusieurs fois représentée dans l’art : à gauche dans l’église d’Allinges, à droite dans le Château-Neuf.

Une croix subsiste encore rappelant cet épisode, elle se trouve à Chandouze. Mais, actuellement coincée entre des bretelles d’autoroute, je ne m’y rendrai pas…

Le château d’Allinges est donc un caillou endémique du catholicisme en terre chablaisienne protestante et le baron d’Hermance un protecteur pour saint François et Louis de Sales. La cheminée du château donnera un peu de chaleur aux missionnaires et l’on verra qu’elle leur manquera parfois cruellement. Mais François est coriace, tenace, endurant et surtout abandonné à la Providence. Nous y reviendrons.

Je poursuis ma marche et, en 150m, je pénètre dans l’enceinte du Château-Neuf.

C’est à y perdre son latin, tant je ne comprends rien à l’architecture du bâtiment qui s’offre à moi. Une pancarte, heureusement, explique comment démantèlements, remaniements et restaurations donnent, dans l’empilement des siècles, l’agencement actuel : « Démantelé en 1703 sur les ordres du duc de Savoie, le site de Château-Neuf est aujourd’hui peu compréhensible sans analyse approfondie. […] Restauré et remanié au XIXème siècle par les missionnaires de Saint-François-de-Sales, [ce qui reste de l’ensemble] abrite la chapelle du château (« castrale »). Cette chapelle a conservé l’essentiel de son architecture romane, malgré sa restauration en 1836. Une tour semi-circulaire, construite à la verticale du chœur en 1280-1281, protégeait le front nord [pendant le siècle d’affrontements]. Aujourd’hui, l’enceinte et le bâtiment attenant ont partiellement disparus. Cette demi-tour ronde y gagne l’allure d’un clocher atypique. »

La vue du Château-Vieux depuis le Neuf laisse imaginer l’ampleur et la violence des combats à portée de boulets. On ne pouvait pas se piffer à 150 mètres à la ronde :

Une répétition de musique baroque attire mes oreilles, mais je cherche la chapelle, pour confier à saint François la reconquête de… la France !

J’y récite une dizaine de mon chapelet et je repars en saluant cette belle statue de saint Joseph que je remercie pour des grâces accordées à notre famille récemment.

La Bande Dessinée de Gaëtan Évrard et Patrick de Gmeline « François de Sales La douceur de Dieu » aux Éditions du Triomphe met en scène l’accueil reçu ici par notre missionnaire.

Mais Allinges reste un lieu d’envoi, un lieu de départ. C’est là que François mit en pratique son discours d’Annecy. C’est à partir d’ici que, confronté à la farouche opposition des habitants de la région, il devint le saint patron des journalistes ! En effet, les calvinistes n’avaient pas le droit d’aller écouter des sermons et enseignements donnés par des catholiques. Notre missionnaire prêchait donc à des chaises vides. Il se dit alors que nul n’avait interdit aux habitants de lire des écrits de bonne théologie dans le secret de leur maison. Il se mit à l’ouvrage et travailla (selon son funis triplex : étude, jeûne et prière) à l’écriture de billets qu’il glissait ensuite sous la porte des habitants qui fuyaient à son arrivée. C’est du journalisme apostolique et je me range volontiers sous la bannière de ce type de média.

Je glane une dernière citation avant de quitter Allinges, car je n’ai quasiment pas marché encore et tout à l’heure, je veux être au Mont Forchat.

Saint François a beaucoup travaillé et étudié et, de ce château, il est parti quotidiennement avec son cousin Louis à la recherche des âmes car déjà à son époque, l’on pouvait dire « Je frapperai le berger et les brebis seront dispersées. » (Mt, 26, 31 et Za 13, 7). Avec François, je descends l’allée du château pour redire l’amour du Seigneur pour nous.

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  1. « Prier à Annecy avec François de Sales », André Ravier, sj, ddb, 1993, p.25-26 ↩︎

Publié par Anne-Marie MICHEL

Pigiste catholique, je m'efforce de témoigner de ma foi dans le Christ, chemin, vérité et vie. Ainsi, ce qui est vrai, bien et beau m'élève et ce trésor se partage. Notre temps est encore celui de la miséricorde, eleos en grec, alors proclamons-la à temps et à contre-temps ! Depuis août 2023, le blog relate principalement mes pèlerinages effectués en France pour son relèvement temporel et spirituel.

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