

Un article de Valeurs Actuelles du jeudi 23 avril 2020 relate le massacre de Katyn. En avril et mai 1940, il y a 80 ans, la Russie communiste exécute 4000 officiers polonais dans la forêt de Katyn, près de Smolensk. Le but est l’éradication de la Pologne en détruisant son élite. Un officier, Salvomir Rawicz, échappe au massacre, mais pas aux geôles moscovites. Il survit aux traitements inhumains dont sont capables des Russes communistes et finit dans un goulag aux confins du cercle polaire en Sibérie orientale. Dans son récit controversé « À marche forcée », il raconte son évasion et sa fuite vers le sud jusqu’en Inde. Ne cherchant pas à vérifier la véracité du récit de Rawicz, Sylvain Tesson s’en inspire pour refaire l’itinéraire. C’est L’axe du loup, paru chez Robert Laffont en 2004, puis en Poche. Quelques lectures qui rappellent qu’il n’est pas bon de subir le dragon communiste – et il n’est pas mort – mais qu’il est possible d’en être victorieux.
L’auteur de l’article de Valeurs Actuelles, l’historien Kevin Bossuet, rappelle avec force les desseins d’un régime qui a brillé par ses millions de morts. « Ces [officiers polonais] qui ont été lâchement exécutés près d’une immense fosse commune avant d’y être ensevelis symbolisent à eux seuls la dérive sanguinaire de l’une des idéologies les plus criminelles de notre histoire : le communisme. » Dès 1939 et la signature du pacte germano-soviétique, « l’occupant nazi et l’occupant communiste pouvaient se livrer à un véritable travail de destruction de la nation et de l’identité polonaises. Des dizaines de milliers de personnes ont été déplacées et mises au travail forcé, les élites ont été déportées ou assassinées et l’Eglise catholique a été sévèrement réprimée » ajoute-t-il. Tout régime dictatorial muselle, bâillonne et décapite toute tête bien faite qui ose penser, réfléchir, contester ou, plus simplement, avertir. Des médecins chinois en ont encore fait les frais récemment et le reste du monde subit encore les conséquences des mensonges qui font le socle de tout régime communiste. Kevin Bossuet parle de génocide de classe, car pour détruire un pays il convient d’anéantir d’une balle dans la nuque toute personne susceptible d’être un peu trop intelligente et cultivée comme ces « officiers polonais, dont beaucoup de réservistes qui étaient étudiants, médecins, ingénieurs, professeurs ou encore chefs d’entreprise. […] Pour Staline, c’était clair, il fallait à tout prix se débarrasser de l’intelligentsia polonaise contre-révolutionnaire qui était perçue comme étant un dangereux obstacle à la soviétisation du pays. L’épuration de classe s’est alors transformée en un assassinat en règle de la culture et de l’identité du peuple polonais. » Mensonges en séries, massacres programmés de façon industrielle, éradication de la liberté, de l’intelligence, sans parler de ce qui habite le cœur le plus profond de l’homme : sa vie spirituelle. Le communisme détruit l’homme. Et l’historien de conclure en rappelant l’urgence de se débarrasser d’une idéologie utopique, criminelle et totalitaire. En effet, l’Occident l’a un peu trop vite classée dans les rayons de l’histoire. Mais le communisme n’a pas déserté la planète et l’on peut s’interroger sur les authentiques capacités politiques, économiques, mais aussi morales et spirituelles de l’Europe et de l’Amérique à l’en délivrer.
Le livre de l’officier Rawicz est déchirant. Premièrement parce l’authenticité de son récit fait débat et le doute s’installe. Ce résistant polonais a-t-il bel et bien réussi à déjouer le piège communiste, sa mort certaine dans un goulag effroyable ? A-t-il effectivement réussi à traverser toute la Sibérie vers le sud sans être piégé par la délation ? Comment a-t-il pu survivre à la traversée du désert de Gobi, sans carte des points d’eau ? Comment a-t-il pu franchir l’Himalaya dans les conditions qui furent les siennes dans les années 1940 ? Les imprécisions du récit font même crier à l’imposture certains fins connaisseurs des lieux et de l’époque. On dit qu’il aurait même emprunté le récit à un autre polonais. Le doute ne sera peut-être jamais levé. Tout mensonge est regrettable. À moins qu’il ne s’agisse là du récit rendu imprécis parce que l’homme est accablé de souffrance et qu’il ne lui reste qu’un fil ténu pour se maintenir en survie. Je pardonne plus facilement à un officier polonais qu’à un communiste.
« À marche forcée » est déchirant aussi parce que, peu ou prou, il décrit une réalité bien connue du monde soviétique. Si le Gobi n’est peut-être pas campé selon sa réalité géographique, les geôles moscovites où il est prisonnier lèvent le cœur. Il faut s’accrocher pour survivre à chaque page, au point que l’arrivée au goulag fait presque l’effet d’un soulagement. Il est pourtant difficile de reprocher à l’auteur une quelconque exagération des tortures subies. L’horreur reste l’horreur. Et quand bien même l’auteur du livre ne serait pas l’auteur de l’évasion relatée, il existe des rescapés du goulag. Et ces personnes rappellent avec force que, même si elles sont peu nombreuses au regard des millions de morts, la vie est plus forte, que la liberté ne s’enferme pas, que l’intelligence est toujours supérieure à la perversion érigée en système sanguinaire. La liberté, la vérité et la vie triompheront toujours.
L’axe du loup est précisément un hymne à la liberté, à la libération. L’écrivain aventurier, Sylvain Tesson, alors âgé d’à peine plus de 30 ans décide de partir d’un coin perdu au fin fond de la taïga quelque part au nord d’Iakoutsk. Car le camp 303 de Rawicz n’est pas clairement identifié. Il y a moult camps. Et comme pour soutenir le mensonge du communiste, la taïga s’en mêle. Les restes des bâtiments carcéraux se dissolvent insidieusement dans la raspoutitsa, cette mer de boue qui succède aux glaces hivernales. Des camps de la honte coulent à travers cette gadoue les larmes des malheureux entre quelques tas de briques et les fils de fer barbelés rouillés. D’ici peu, il ne restera plus rien des baraquements où l’on mourait comme de vulgaires mouches, si ce n’est peut-être le chant lugubre d’un pays qui s’est appliqué à se suicider en éradiquant ce qu’il avait d’intelligent, de courageux et de droit. Tesson, le Français amoureux de la Russie, entame l’itinéraire emprunté par tant de refuzniks : « moines orthodoxes, prêtres bouddhistes, dissidents politiques, zeks, soldats perdus, Mongols, Juifs, Bouriates, Tibétains. » À son niveau, l’écrivain aventurier ralentit, voire empêche, l’œuvre d’oubli que veut opérer le communisme avec la complicité de la raspoutitsa. « Ce que je veux célébrer, c’est « l’esprit d’évasion » qui consiste à cotiser toutes ses forces, ses espoirs et ses compétences, à tout mettre en œuvre sans jamais laisser le découragement s’immiscer dans l’obstination, pour regagner la liberté perdue. S’évader c’est passer d’un état de sous-vie (la détention) à un état de survie (la cavale) par amour de la Vie. » Certes, comparé à la fuite des évadés, son voyage a les conditions du grand luxe, une sinécure en première classe : il peut rencontrer les habitants sans être dénoncé, il ne meurt pas de faim (ni de soif, car la Vodka coule toujours à flot et Tesson trinque allègrement !), il dispose de cartes et d’un GPS. Mais ce confort ne retire rien à l’hymne qu’il joue des bords de la Lena jusqu’en Inde, en passant par les immensités mongoles, la désolation du Gobi, les frimas himalayens et la touffeur des contreforts sud entre théiers et rizières. L’axe du loup me semble être un des chefs d’œuvre de Sylvain Tesson.
Parmi les menaces qui assombrissent encore notre avenir, il en est une qu’il convient de ne pas trop négliger : le communisme. Puissent ces lectures nous prémunir contre ses tentacules. « Mais à la fin, mon Cœur Immaculé triomphera » a rappelé la Sainte Vierge à Fatima. Et pour hâter ce triomphe définitif, il convient de continuer à faire mémoire de l’héroïsme de ceux qui ont résisté aux horreurs perpétrées, de rappeler qu’il est possible d’en réchapper. Et dès à présent, nourrissons l’audace de lutter radicalement contre la moindre velléité de cette utopie sanguinaire à reconquérir le monde.