
Un enfer de sable et de cyclones, dans le cauchemar de l’oubli et de l’abandon par d’autres hommes, voilà les conditions d’un confinement qui peut nous aider à relativiser le nôtre. Un drame de l’histoire, encore un, qui rappelle que les fléaux n’ont de cesse que de s’acharner sur notre humanité, aveugle et blessée. Où ? Quand ? Pourquoi ? Récit d’une page sombre de notre histoire, illuminée pourtant par la vertu de force de ceux que nous avons méprisés.
L’on se tourne ces temps-ci, à raison, vers les contemplatifs pour glaner quelques conseils. Des interviews fleurissent de moines qui vivent au cloître depuis des années. « Mon Père, ma Sœur, apprenez-nous à vivre confinés ! » lit-on. Il est en effet normal de s’adresser aux personnes compétentes pour se former soi-même à vivre une situation aussi inédite qu’inattendue. Ceci-dit, les moines ont librement choisi leur réclusion et en ont reçu la vocation. Tel n’est pas notre cas. Comment ont résisté ceux qui n’ont pas choisi leur sort, un sort dramatique ?
Comme celui des cent soixante hommes, femmes et enfants malgaches embarqués à Madagascar en 1761 à bord de l’Utile, frégate de la Compagnie française des Indes Orientales. Ce navire était parti de Bayonne avec cent quarante deux hommes d’équipage et devait rejoindre l’Île Maurice pour livrer sa cargaison d’esclaves malgaches, alors que la traite était interdite par le gouverneur. Le capitaine et son second ne sont pas d’accord sur la trajectoire entre Madagascar et l’Île Maurice car leurs cartes maritimes sont contradictoires. Il fait nuit et l’erreur fatale de navigation conduit le bateau au naufrage le 31 juillet 1761 sur l’île de Tromelin. L’équipage arrive à rejoindre la côte de l’îlot très dangereux d’accès. Mais les esclaves étaient enfermés dans les cales par peur de révolte. Certains, une soixantaine, doivent leur salut aux fracas des flots qui brisent le navire, ce qui les « libèrent » et leur permet de nager jusqu’à la côte. Les autres sont morts noyés. Voilà donc plus de cent quarante hommes d’équipage et une soixantaine d’esclaves comme autant de robinsons sur ce caillou de l’Océan Indien, d’à peine un kilomètre carré. Rien de paradisiaque à Tromelin. Rien ne pousse et les cyclones ravagent l’îlot régulièrement. Même encore aujourd’hui, y accoster est périlleux.
L’on s’organise rapidement : un camp pour l’équipage, un autre pour les malgaches, on récupère tout ce que l’on peut de l’épave : vivres, bois, clous, tout peut servir ! Si la végétation est rabougrie, diverses espèces animales font escale sur l’île : oiseaux, tortues et évidemment poissons. L’on creuse un puits ne donnant qu’une eau saumâtre. Le capitaine, Jean de la Fargue, a tout simplement perdu la raison dans le naufrage ; son second, le lieutenant Barthélémy Castellan du Vernet prend les rênes de la situation avec une seule obsession : s’enfuir de son royaume d’infortune. L’on cherche à tout prix à reconstruire une embarcation permettant d’embarquer tous les robinsons, mais il faut se rendre à l’évidence, le nouveau bateau sera bien trop petit pour y loger tout le monde. Il faudra faire le tri. Ainsi, deux mois après le naufrage, les cent vingt deux hommes d’équipage restant embarqueront seuls, laissant sur place les esclaves avec quelques vivres. Castellan a promis de revenir les chercher. Il fera tout, en effet, pour convaincre les autorités de lui fournir un bateau afin de récupérer les infortunés. Mais il se heurtera à des refus catégoriques. En effet, rappelons que Lafargue, le capitaine devenu fou et qui est finalement mort de maladie, avait enfreint l’interdiction d’importer des esclaves sur l’Île Maurice. Aller sauver ses esclaves faisait craindre un blocus de l’île par les Anglais. Castellan finit par abandonner et rentre en métropole. Le sort de ces esclaves émeut la classe politique quelques temps avant de disparaître aussi de la une des journaux.
Plusieurs navires, plus tard, passeront non loin de Tromelin et repéreront les rescapés. Plusieurs tentatives d’accostage échoueront tant les abords sont dangereux. Un marin arrivera quand-même à la nage jusqu’à l’île, mais son navire est reparti sans lui ! Pris au piège à son tour, il construira un radeau, y embarquera avec lui trois hommes et trois femmes. Mais le radeau n’arrivera jamais à destination.
Quinze ans passent depuis le naufrage de l’Utile en 1761. Le 29 novembre 1776, le chevalier de Tromelin, commandant la corvette La Dauphine, réussit à approcher l’île et récupère les huit derniers survivants de ce confinement : sept femmes et un bébé de huit mois, un petit garçon, et les fait accoster sains et saufs à l’Île Maurice. Ils sont déclarés libres. C’est depuis lors que ce caillou appelé avant Île aux sables est rebaptisé du nom du chevalier.
Des fouilles archéologiques récentes ont permis de retrouver la trace des conditions de survie de ces personnes dans leur enfer de sable et de vent. Des ustensiles de cuisine ont été découverts, notamment des écuelles, maintes fois rapiécées. Pas question de jeter quand on n’a rien ! On répare. On développe l’ingéniosité, l’imagination, une forme de sobriété de survie. Et surtout, pour résister à un tel confinement, il a fallu se doter d’une grande vertu de force. On oublie trop que la force est une vertu. C’est même étymologiquement le même mot, puisque « vertu » vient du latin « virtus » qui désigne la « force ». Le mot latin « vir » désigne lui-même la qualité virile.
Soyons donc forts et virils ! Surtout nous les femmes, car notons que les derniers rescapés de Tromelin furent sept femmes et un bébé de huit mois !
sources :
francetvinfo
geo
émission de TV5monde
une émission avec Sylvain Tesson sur les Îles Éparses
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%8Ele_Tromelin