Comment vivre le confinement ?

Par le Père Matthias Amiot, prêtre du diocèse d’Évry.

Le phare de la Jument, par beau temps

Je vais vous proposer quelques suggestions pour vivre cette épreuve du confinement. Il n’est pas facile de prendre la parole sur cette question tant vos situations sont différentes. Je m’adresse à des célibataires et à des familles, à des salariés et des retraités, à des personnes vivant en maison ou appartement, à des personnes qui sont confinées chez elles ou bien ailleurs. Du coup vous mesurez la complexité de la tâche. Mettons-nous à l’écoute de la Parole de Dieu : « Ainsi, celui qui entend les paroles que je dis là et les met en pratique est comparable à un homme prévoyant qui a construit sa maison sur le roc. La pluie est tombée, les torrents ont dévalé, les vents ont soufflé et se sont abattus sur cette maison ; la maison ne s’est pas écroulée, car elle était fondée sur le roc. » (Mt 7, 24.25)

Comment bâtir sur le Roc en situation de confinement ? Voici quelques éléments de réponse. Ils seront au nombre de 7 :
– les 4 premiers éléments forment un carré, c’est ce qui permet l’enracinement ;
– 3 autres forment un triangle, c’est ce qui permet l’ouverture à la transcendance.
Et si nous associons notre carré et notre triangle, à peu de choses près, nous avons le dessein d’une maison.

1ère ATTITUDE : ORGANISER SON TEMPS

Montre molle au moment de la première explosion, Dali (1954)

Je vous invite à organiser vos journées. Le temps qui n’est pas organisé est perdu. Le temps est un talent précieux. Le plus précieux de tous. Car il permet d’exploiter les autres. A quoi nous servirait-il d’être comblés de richesses s’il nous restait seulement une heure à vivre ? Autant dire que le vrai le luxe, c’est le temps.
Le temps s’organise avec ou sans confinement. Mais sans doute cette épreuve nous oblige à vivre le temps différemment. D’abord ne pas le subir. Le temps est un allié. Aussi il ne faut pas l’envisager comme une contrainte. Il est donc négatif de rayer les jours dans son agenda. Il vaut mieux chercher comment organiser son temps. Pour cela, vous connaissez la parabole des gros cailloux. Si nous voulons mettre dans un vase des gros cailloux, puis des graviers, puis du sable, puis de l’eau, nous y arriverons. Mais l’inverse ne sera pas possible. Cela signifie qu’il faut choisir les éléments importants de notre vie et puis remplir avec des éléments de moins en moins importants. C’est seulement dans cet ordre que cela fonctionne.
Nos journées peuvent être semblables, mais pas monotones. La répétition ne doit pas devenir routine. Elle doit devenir approfondissement. C’est l’image de l’année liturgique. Elle se répète mais sans être reconduite à l’identique. Aussi il est bon d’avoir une trame fondamentale et de savoir ouvrir des opportunités, de savourer la nouveauté, de créer des ruptures.
Certes on ne peut pas tout organiser. Mais le temps qui n’est pas organisé deviendra vite un temps mal habité. On commencera une activité pour passer à une autre. Et sans objectifs précis, on fera du sur place avec la frustration de perdre son temps.

2ème ATTITUDE : NE PAS SE FOCALISER SUR LE NÉGATIF

L’actualité en général, et celle du la pandémie en particulier, peut nous porter au désespoir. Les médias ont le chic de nous servir les horreurs en entrée et les drames en plat de résistance. Et en dessert, on vous propose des divertissements. Or, cela risque d’étouffer l’esprit et l’âme. L’esprit, car il va se focaliser sur le négatif. L’âme, car elle sera affamée de ne recevoir que des mauvaises nouvelles, alors que seule la Bonne nouvelle peut la nourrir.
Il est donc conseillé de suivre l’actualité une fois par jour. Et d’éviter de suivre d’heure en heure la situation. Il est juste et bon de suivre les informations. Mais il faut se donner une limite pour ne pas se perdre dans le tragique. Je pense à cette parole de Nietzsche : « Celui qui combat des monstres doit prendre garde à ne pas devenir monstre lui-même. Et si tu regardes longtemps un abîme, l’abîme regarde aussi en toi. »

3ème ATTITUDE : CHERCHER LE POSITIF

Cette crise va rebattre les cartes en profondeur. Elle ne durera sans doute pas aussi longtemps que les guerres du siècle dernier, mais l’impact mondial et médiatique est tel qu’il y aura forcément un avant et un après. Certes, il ne faut pas être naïf et rêver à des lendemains qui chantent : « Chassez le naturel, il revient au galop ».
Pour autant nous prenons globalement conscience de l’impact de cette crise. Que l’on pense à la pollution, qui disparaît subitement de nos mégapoles. Que l’on songe à l’impact du télétravail, qui va sans doute être davantage utilisé. Que l’on pense aux relations, qui sont questionnées tant dans la famille, soudain réunie mais parfois aussi éclatée, qu’aux personnes seules qu’on ne voyait pas ou peu avant cette crise.
À noter aussi l’émergence des AIV ou Activités d’Importance Vitales. Avant on ne savait pas vraiment qu’elles existaient… Il est bon de rendre hommage à celles et ceux dont c’est le quotidien, en les nommant par dominantes :
– HUMAINE : Alimentation, Gestion de l’eau, Santé
– RÉGALIENNE : État, Justice, Armée
– ÉCONOMIQUE : Énergie, Finance, Transports
– TECHNOLOGIQUE : Communication, Industrie, Recherche
À titre personnel, prenons le temps de nous interroger : qu’est-ce que je peux retirer de positif de cette crise ? Trois exemples possibles, parmi beaucoup d’autres :
– Dans ma relation à Dieu, si j’ai redécouvert la prière.
– Dans ma relation aux autres, si je réalise combien ils étaient peu présents.
– Dans ma relation à moi-même, si je prends conscience que je vivais à la surface de moi-même.
L’impact est tellement universel, tellement évident, qu’on ne peut sortir indemne d’une telle épreuve. Alors prenons le temps de réfléchir à ce que nous garderons de cette crise pour en sortir par le haut.

4ème ATTITUDE : COMMUNIQUER AVEC NOS PROCHES

Aujourd’hui, les liens de nos sociétés anonymes sont souvent distendus et c’est l’individualisme qui, hélas, tend à régner. C’est sans doute moins vrai dans les zones rurales, où la solidarité est plus présente, mais le monde moderne tend à nous séparer. La fête des voisins est d’ailleurs un révélateur puissant. Sur le fond, c’est une bonne idée. Mais cela dévoile le manque de relations qui existent. Avant il fallait se donner des coups de mains, tout le village s’y mettait pour les foins par exemple. La mécanisation, l’industrialisation, l’avènement de la consommation de masse, la civilisation du loisir… ont affaibli ce lien. Avant j’avais besoin des autres, maintenant je peux choisir d’avoir besoin des autres. Et avec les réseaux sociaux, je peux même choisir à tout moment de mettre fin à la relation.
Il est possible de dépasser cet état d’esprit, mais il faut de l’énergie. Communiquer, c’est accepter de prendre du temps pour les autres, gratuitement. Or ce temps est sous pression. On parle de l’accélération du temps. Nos journées ont toujours 24 h, mais les rythmes de vie mettent sous pression le temps libre. Du coup, il est tentant de rentrer dans sa bulle numérique. À ce propos, le Pape François à parlé d’autisme technologique. Autisme qui se constate dans la rue, avec bien des personnes qui écoutent de la musique, ou dans les restaurants, où certains regardent plus leur écran que les autres.
Communiquer c’est se rendre disponible pour échanger en vérité. C’est exigeant, mais c’est tellement gratifiant. On se rend bien compte de la valeur de la communication quand elle vient à manquer. Nous sommes des êtres relationnels par vocation. Et le repli sur soi est mortifère, comme une antichambre de l’Enfer. Prenons le temps de communiquer, donnons de notre temps pour être en relation.

5ème ATTITUDE : PRIER

Deux prières principales peuvent nous animer :
– L’action de grâces
– L’intercession
1/ L’action de grâces est peu connue, c’est un regard chrétien sur le monde qui dépasse les apparences. C’est la révolution copernicienne ou je bascule du tout est DÛ à tout est DON. Et cela n’est pas spontané dans un monde de consommation. L’action de grâces cherche à relier Dieu, la Source, à ses dons, que je reçois. L’action de grâces me fait prendre conscience de l’ingratitude du monde en général et de la mienne en particulier.
Un passage de l’Évangile est très révélateur : la guérison des dix lépreux (Lc 17). Un seul revient sur ses pas pour remercier Jésus. Naturellement, la personne humaine n’est pas dans l’action de grâces, mais ce n’est pour cela que les baptisés le sont spontanément. Il faut vivre une conversion profonde pour ne pas capter les dons de Dieu mais les reconnaître.
La gratitude est une attitude qui est excellente pour la santé de l’âme mais aussi pour la santé tout court. Beaucoup d’études l’ont confirmé. A la fin de notre journée, prenons le temps de la relire et d’en dégager au moins 7 actions de grâces. L’exercice est simple et permet de grandir dans cette dimension essentielle de la vie chrétienne.
2/ L’intercession est une prière plus familière, sans doute aussi vieille que l’Humanité. Il s’agit de demander quelque chose à Dieu. Souvent les humains réduisent Dieu à un Grand Distributeur. Il suffirait de prier pour obtenir quelque chose. Et quand les choses vont mal, on Le prie un peu plus pour compenser les absences. Voilà une conception de Dieu bien réductrice. Mais en même temps, demander n’est pas absent de la tradition chrétienne. La question est à qui demande t-on ? Soit à Dieu soit à une conception erronée de Dieu. Soit à un Père, soit à un Dieu tiroir-caisse. Hélas beaucoup sont dans la seconde conception. C’est une vision païenne de Dieu, auquel il faudrait offrir des présents pour attirer ses faveurs.
L’intercession est une prière qui se vit avec le Christ et l’Église. Idéalement, elle devrait succéder à la louange, exactement comme le fait la Liturgie des heures. L’intercession doit élargir notre horizon pour embrasser l’universel. Sinon c’est une prière personnelle et qui devient rapidement égoïste et qui n’a plus de prière que le nom. Intercéder, c’est accepter de répéter les mêmes demandes, de les formuler différemment mais de demander souvent la même chose. C’est poser un acte de foi en affirmant que Dieu est à l’origine de toutes ces grâces qui soutiennent le monde. L’intercession ouvre un espace de grâce et d’espérance.

6ème ATTITUDE : L’ORAISON

L’oraison est une prière peu connue et pourtant indispensable pour progresser dans la vie chrétienne. C’est une prière qui peut étonner car elle ne repose pas sur une activité. Il s’agit simplement de demeurer en présence de Dieu, gratuitement. L’oraison est une prière déconcertante. Ce n’est pas une prière liturgique, comme la célébration des sacrements ou la prière de la liturgie des heures. Ce n’est pas une prière de dévotion. Ce n’est pas non plus une prière où nous faisons quelque chose de précis. Il n’y a pas d’objet à tenir (comme un chapelet) et rien à regarder (comme le Saint-Sacrement ou une icône). C’est une prière silencieuse, pratiquée le plus souvent seul, même si l’oraison peut être communautaire. Aussi l’oraison est une prière qui déconcerte. On pourrait presque dire, en voyant le côté purement factuel, que l’oraison est une prière où il ne se passe rien ! Et pourtant, c’est dans ce « rien » que tout va se jouer… Car le but est de viser le recueillement, que nous perdons si facilement. Plus les années passent, plus le monde perd d’intériorité. Sans doute cette pandémie peut avoir une vertu : nous inviter à savourer le silence. Notre monde se meurt de paroles oiseuses, inutiles, de bruits incessants qui étouffent l’âme, de musiques peu édifiantes. L’homme moderne pèche par extériorité, il a perdu le chemin de l’intériorité. La tendance naturelle après le péché originel c’est de vivre tendu vers les créatures et non plus centré sur Dieu, qui est au cœur de notre cœur. D’où la tendance naturelle à l’éparpillement, à la dispersion, qui cause notre dépérissement. L’oraison est le grand remède à cette tendance mortifère qui incite à changer, à bouger. Cette école de silence, d’intériorité, de recueillement est un rempart puissant contre l’agitation du monde.

7ème ATTITUDE : COMMUNION DE DÉSIR

Sans prêtres, les sacrements ne peuvent être célébrés. C’est la conséquence directe du confinement pour le peuple de Dieu. Cette pandémie a le mérite de remettre en valeur le rôle du prêtre, intendant des mystères de Dieu. Ce jeûne de sacrements peut, malgré les souffrances et les incompréhensions, être source d’une conversion pour bien des chrétiens.
Soyons honnêtes : bien des communions sont reçues sans ferveur et beaucoup de confessions sont sans lendemain. Pourquoi ? Parce que la grâce ne peut travailler les cœurs que dans certaines conditions. Et bien souvent, ces conditions d’écoute, d’ouverture, de disponibilité, d’humilité, de bonne volonté, de désir de sainteté… ne sont pas au RDV. Du coup on célèbre beaucoup mais les fruits sont maigres.  Cette réduction brutale des sacrements est l’occasion de s’interroger en profondeur, pour les prêtres comme pour les laïcs : quel est l’état de notre cœur quand nous célébrons ? pourquoi toutes ces messes se réduisent souvent à de belles célébrations mais qui ne portent pas de fruits de sainteté ? Pourquoi toutes ces heures de prières se révèlent très peu fécondes ?
Sans doute parce que les dispositions ne sont pas réunies. Alors peut être faudrait-il se confesser plus souvent et plus sincèrement ? Peut-être faudrait-il ne pas communier systématiquement ? Peut-être faudrait-il faire de la semaine entière une préparation vers le Dimanche, avec une journée de jeûne (idéalement le vendredi), une méditation des 4 lectures de la messe (que beaucoup découvrent en direct le dimanche !), avec des temps d’oraison, d’adoration, d’intercession… Afin de vivre le Dimanche une véritable rencontre qui transforme en profondeur.
La communion eucharistique étant pour le moment impossible, il reste cependant la possibilité de la communion de désir. Il s’agit de s’unir en esprit au Christ et de demander de recevoir les effets de l’Eucharistie malgré l’impossibilité de communier. On appelle cette démarche communion de désir ou communion spirituelle.

SYNTHÈSE

Voici que notre maison est terminée :
– Nous avons proposé 4 attitudes humaines pour l’enraciner, ce sont :
* L’organisation du temps,
* Un lien équilibré avec l’actualité,
* Une invitation à chercher l’attitude que je vais conserver après la crise et enfin * Communiquer avec ses proches
– Nous avons suggéré 3 attitudes chrétiennes pour nous ouvrir à la transcendance, il s’agit :
* De prier (action de grâce et intercession),
* De faire oraison,
* De pratiquer la communion de désir
Nous n’avons pas de maîtrise sur le Pourquoi ?, à savoir les causes profondes de la pandémie, mais nous pouvons en revanche agir sur le Comment ?, c’est-à-dire que nous pouvons chercher comment traverser cette crise. Et c’est sans doute le plus sage.
Notre maison est prête pour durer, pour tenir, car elle est fondée sur le roc. Alors elle n’attend plus que la visite de Jésus qui souhaite demeurer en nous : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure. » (Jn 14, 23)

L’icône de la Trinité de S. André Roublev, 1425

Publié par Anne-Marie MICHEL

Pigiste catholique, je m'efforce de témoigner de ma foi dans le Christ, chemin, vérité et vie. Ainsi, ce qui est vrai, bien et beau m'élève et ce trésor se partage. Notre temps est encore celui de la miséricorde, eleos en grec, alors proclamons-la à temps et à contre-temps !

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